Michel Turquin
La Petite goutte d’eau de source
Conte
Il
était une fois, blottie au creux d’une limpide source, une adorable goutte
d’eau. Cette source était nichée au fond d’une très grande forêt dont la
verdure s’étendait au flanc d’une haute
et majestueuse montagne dont la cime
éternellement enneigée luisait sous un soleil brillant de mille feux.
Selon
les ancêtres des villages environnants, la limpide poche d’eau abritait
quelques minuscules créatures de rêves: les Ondines. Elles papotaient du matin
au soir et c’est, paraît-il ce qui donnait à la source cette pétulante gaieté.
Quelques
oiseaux du voisinage piaillant comme des écoliers en récréation y venaient prendre leurs
bains, éclaboussant tout alentour
puis, remontaient dans l’air léger pour
se faire sécher au vent.
Chaque
matin, le soleil glissait doucement un
œil parmi les épaisses touffes d’arbres.
Comme un tendre papa, il caressait de ses rayons de miel la source, la
vivifiant pour toute la journée.
Et
ainsi, sans histoire, passaient les jours.
Un
matin qui ressemblait à tous les autres matins, la mignonne petite goutte d’eau s’éveilla,
s’étira, bailla, ouvrit ses grands yeux clairs sous un des rayons d’or. Une
curieuse idée lui vint à l’esprit.
-« Tiens, se dit-elle, je ne
connais pas grand chose de la vie, toutes mes grandes sœurs descendent dans la
vallée, et moi, je reste là, paisible, sans soucis, à me prélasser, à chanter,
à rêver, à jouer avec les oisillons… à
part cela, que sais-je de la vie ? Rien. »
Cette
pensée la troubla toute la journée, tant et si bien, que les Ondines ne la
reconnaissaient plus. Comme un lionceau en cage la petite goutte tournait en
rond au creux de la source. Elle bousculait ses copines, se figeait en
ronchonnant sous une tendre feuille. Son allure capricieuse perturbait
sérieusement la sérénité des lieux.
-« Oui, demain, à l’aube, je partirai,
cela m’obsède, je veux assouvir ma curiosité. »
Tout
le monde essaya de la dissuader, les oiseaux, les Ondines, les arbres
centenaires, la source même, tous les insectes environnants. Rien n’y fit, elle
bouda. Elle prit la ferme résolution de faire ce que bon lui semblerait. Demain
sera le grand, le bon moment.
Le
jour était à peine levé, toute la forêt dormait paisiblement encore. On
entendait le ronflement de l’ours ainsi que les soupirs duveteux des oiseaux,
les écureuils grignotaient machinalement tout en sommeillant. L’astre solaire
n’avait pas encore montré son nez.
Une
grande respiration, elle prit son élan, essaya de passer par dessus les quelques
granuleuses pierres qui entouraient la source.
Elle était trop légère, faible elle retomba dans le fond.
- « Comment
faire ? » se dit-elle.
Elle
aperçut soudain, plus loin, toutes ses sœurs adultes qui se préparaient à
partir pour le long voyage, celui qui va
jusqu’à la mer. Elle s’approcha doucement, choisit la plus grosse goutte, celle
qui était un peu bébête, puis, mine de
rien, s’accrocha à elle.
La
grosse goutte bébête qui dormait à moitié ne sentit rien. Hop, les voici toutes
les deux de l’autre coté des pierres, vers l’inconnu, vers les mystères.
Là,
notre petite goutte abandonna la compagne bébête puis, toute heureuse d’être
enfin libre, sauta, joyeuse, de rocher en rocher, enivrée de liberté. Elle se
laissa glisser voluptueusement dans le courant d’un ruisseau étonné de voir
cette nouvelle venue.
Le
ruisseau dévalait la pente de la montagne, passait par des forêts, des prés,
des petites cascades. La petite goutte,
enfantine, s’amusait beaucoup au milieu de ces rochers qui lui faisaient faire
des bonds dans l’air pur. Elle virevoltait, passait sous une herbe, sautait par
dessus une branche, se laissait tourner en rond comme sur un manège, entraînée
par de rieurs tourbillons. Atteignant le fond du ruisseau, elle remontait entre
deux eaux pour, enfin, déguster de la belle
écume blanche
De
chaque coté, le paysage défilait rapidement, les grands arbres faisaient comme
un mur sombre, une barrière. Là-bas, pour la première fois de sa vie, au
loin, elle apercevait une curieuse bestiole : c’était vache.
- « Hou la la, quelle imposante
bête ! »
Plus
elle descendait, plus le rythme augmentait. N’ayant pas l’habitude, elle eut un
peu peur. Le vertige la prit. Elle chercha vainement à se retenir aux autres
gouttes, rien à faire, elle était
entraînée à présent vers une destinée
qui ne semblait guère encourageante. Dans sa tête, un soupçon de regret, trop tard, le vertige et
l’ivresse étaient plus grands.
Regrets, vertige, ivresse, regrets, ivresse,
vertige. Que faire ? Le courant maintenant avait prit une insoutenable
vitesse.
***
A
un moment, en surface, elle aperçut avec effroi, au loin, une gigantesque
brume. Il y avait de grands remous, un grondement sourd lui arrivait aux
oreilles. C’était une immense cascade qui plongeait profondément dans le vide.
Rien à faire pour l’éviter. Le trou
béant était devant elle, son petit cœur chavirait, elle sentit dans la chute vertigineuse toute la violence du
courant. Elle était folle de terreur dans ce bruit assourdissant. Elle
s’évanouit.
Quand
elle reprit connaissance, la cascade était loin derrière. Autour d’elle, le
calme. Elle était au milieu d’un lac aux rives éloignées. Le Soleil, là haut,
faisait semblant de l’ignorer. Elle se sentait bien seule dans ce nouveau
décor.
Ploc,
ploc, quelque chose vient sauter tout
près. Elle chercha ? Rien… ploc, ploc… un poisson aux écailles argentées
la regardait de ses gros yeux ronds. Il était très joli, attendant qu’elle
sorte de son évanouissement.
-« Je ne te reconnais pas comme une
goutte de mon lac. Que fais-tu là ? »
-« Oh ! Répondit-elle, timide, voilà
que... enfin ! » Elle ne savait que répondre.
-« Mais… tu viens bien de quelque
part ? »
- « C’est… que… je suis tombée
de ma source et, maintenant, il faut que je subisse toutes sortes de
méchancetés. »
« - Oui, oui, je vois », dit poliment
le poisson.
Il
se doutait bien qu’elle mentait, rien qu’au rose des joues de la petite goutte.
-« J’ai peur… »
-« Peur de quoi petite ? »
-« … de rester coincée ici. »
-« Mais non, mais non… patiente un peu,
tu la retrouveras ta source. »
La
petite goutte leva les yeux au ciel, tristement, mais elle avait beau faire,
son ami le Soleil ne la regardait pas.
Ploc…
ploc… ploc… ploc.
- « Bon, au revoir petite, je
quitte rapidement ces lieux, car dans quelques instants les hommes
aux longues cannes vont arriver. Je ne tiens pas à être pris dans leurs filets et finir à
rissoler dans une poêle.»
Un coup de queue, il disparut, frétillant, dans
les profondeurs, où, parmi les nombreuses herbes on ne pouvait ni le voir, ni
l’attraper.
Le
courant doucement entraînait la petite goutte. Elle sentait qu’il lui fallait
accepter à présent toutes ces dures épreuves. De longues heures passèrent.
Après le lac, le ruisseau, plus large, prenait l’allure d’un fleuve. Elle était
dans ses réflexions les plus humides, quand tout à coup, sa petite tête heurta
une masse dure. Impossible d’aller plus loin. Un épais rideau de fer barrait
toute la largeur du lit de la rivière.
-« Qu’est-ce ? », demande-t-elle
à ses voisines.
Une goutte, plus intellectuelle que les
autres, lui expliqua avec beaucoup de fierté que c’était une écluse, de sa
nécessité quand le terrain était trop en pente, et patati... et patata. La
petite goutte ne comprenait rien. Ce qu’elle comprit, c’est qu’avec ses sœurs,
elles devaient attendre plusieurs heures entre chaque manœuvre.
***
Afin
de passer chacune à leur tour dans différents sas, d’imposantes péniches noires
attendaient. L’eau était plus trouble. Notre petite goutte entrevoyait à peine
ce qui se passait et autour, et au-dessus. Elle devinait des formes qui
s’agitaient sur les énormes masses sombres. Sa nature délicate supportait
difficilement la saleté, aussi était-elle choquée quand, projetée du hublot d’une péniche, une
épluchure de banane atterrit sur sa tête.
Furieuse elle se colla contre le rideau de fer suivant. Malgré le dégoût de la
rouille visqueuse, elle attendit.
Un
long grincement, la porte de l’écluse s’ouvrit progressivement. Elle passa avec
une très longue péniche qui se nommait « L’Audacieuse ».
- « Comme
moi », pensa-t-elle, car notre goutte d’eau avait commencé à apprendre
à lire, mais oui.
Grrr…
grrrr …, après deux grinçantes manœuvres, elle était à nouveau dans le
courant du fleuve. Plus le temps passait et plus l’eau devenait inquiétante,
cela la tourmentait. De chaque côté d’elle, arrivaient de vieilles chaussures,
des seaux en plastique, des morceaux de pain, des papiers gras, des objets, que
jamais au grand jamais elle n’avait vu dans sa source pure.
-« Mais qu’est-ce ? », demanda-t-elle à la goutte intellectuelle.
-« C’est que… voilà… en ce moment
nous passons au cœur d’une ville. Ses habitants nous dédaignent
profondément. »
-« Ah ? »
-« Ils se débarrassent de toutes
sortes de déchets oubliant que c’est nous, dans notre pureté, qui leur donnons
à boire quand ils ont soif. Parfois même, ils nous accusent de les rendre
malades, quand ce sont eux-mêmes qui s’empoisonnent avec leurs
cochonneries. »
La
petite goutte d’eau de source n’en revenait pas que de tels sacrilèges
existent, elle en eut le hoquet. Soudain, sous son nez, passa un affreux gros
rat gris venant d’une des canalisations qui s’avançaient. On aurait dit de
laides gargouilles !
La
ville passée, la petite goutte put enfin souffler aux creux de la berge
laissant ses compagnes plus vigoureuses continuer leur chemin.
Elle
ne se reposa pas très longtemps, car les bateaux qui passaient faisaient de
tels remous, qu’il lui était impossible
de rester en paix.
-« Enfin, soupira-t-elle, puisque
c’est ainsi, laissons-nous aller. »
Et
le courant la reprit…
Le
soir était venu.
La lune
sur l’onde reflétait sa face ronde.
La
petite goutte pleurait sur son sort. Elle eut une pensée pour sa forêt, sa
source et tous ses amis.
-« Soleil, pensa-t-elle, ne m’abandonne pas ».
Son
grand ami ne pouvait l’entendre. Il était à ce moment là de l’autre côté de la
terre. Elle s’endormit comme pouvait s’endormir une goutte d’eau et dériva
toute la nuit.
Au
matin, elle arriva au milieu d’une activité incroyable. Des sifflets stridents
vibraient dans l’air, d’immenses bateaux rentraient, sortaient, certains suivis
d’autres petites embarcations. Elle apercevait de hautes barres de fer,
d’immenses grues. Des sirènes hurlaient. De longues ombres s’agitaient.
-« Qu’est ce que
c’est ? »
-« Des hommes », répondit une de ses voisines.
-« Des
hommes ?», un mystère pour elle.
Notre
petite goutte essayait vainement de trouver un endroit calme et clair, mais…
sans résultat. Il lui fallait regarder à droite, à gauche pour ne pas être
touchée par les rudes parois. Quand elle était en en surface, des engins
inconnus l’enfonçaient au fond. Quand elle était au fond, dans une espèce de
vase, une telle nausée la prenait qu’elle aurait préféré mourir. D’énormes
chaînes noires cliquetaient, la faisant trembler de peur.
Et
puis, curieusement, à un moment, elle se sentit entraînée, ballottée,
entraînée, ballottée.
Un
goût différent humectait ses lèvres. C’était salé. Un autre univers… elle était
dans la mer. La mer ? Elle en avait quelques fois entendu parler par les
anciennes gouttes d’eau, mais, sitôt qu’elle s’approchait pour les écouter,
elles s’éloignaient, d’un air hautain.
« La mer, vous comprenez… c’est tout un monde que seuls les grands peuvent
comprendre. »
Au
milieu de ce nouvel élément, elle pensa qu’elle n’avait pas tout perdu,
puisqu’elle découvrait, enfin, ce qu’était la mer.
Soudain
parmi les vagues elle entendit un long chant mélodieux, très doux, très
charmeur. Les voix étaient pures, limpides.
Elle cherchait d’où cela pouvait venir ? Une petite île. Un rocher. Sur ce
rocher deux longues et gracieuses sirènes, écailles ruisselantes au soleil,
chantaient. La voyant désorientée, elles lui souriaient, puis, se penchant vers
elle, la plus langoureuse dit :
-« Si tu le souhaites, nous
t’emmènerons au fond de l’océan. Tu pourras découvrir des merveilles, des
splendeurs qui n’existent nulle part ailleurs, viens, viens, petite goutte,
viens… »
Les
sirènes se laissaient glisser et tournoyaient autour de la petite goutte d’eau
qui s’accrochait à la chevelure blonde de la plus menue.
Elles
s’enfonçaient, s’enfonçaient dans les impressionnantes profondeurs.
La
descente était rapide. Les sirènes déposèrent la petite goutte sur du sable,
juste à côté d’un étonnant coquillage nacré. De grandes algues vertes, jaunes,
marrons, ondulaient. Des poissons miroitants passaient et repassaient puis d’un
frétillement de queue, partaient avertir tous les habitants de la mer : « On chuchote qu’une petite goutte
d’eau de source s’est égarée parmi eux. »
Des
espèces de toutes grosseurs, de toutes formes de toutes couleurs arrivaient
pour la contempler. De gros crabes aux pinces dressées se pressaient les uns
contre les autres pour être au premier rang. Il y avait foule autour d’elle.
Elle ne comprit pas pourquoi une huître perlière lui dit en baillant :
-« Haaaouf… c’est la première fois,
qu’ici, arrive une goutte d’eau qui reste une goutte d’eau de source,
d’habitude, quand les gouttes se perdent dans notre océan, elles deviennent
automatiquement salées et se mélangent à la mer. Or, comme tu es restée pure et
limpide, imprégnée de l’éclat de tes hautes montagnes, tous sont étonnés et
viennent t’admirer. »
-« Ah bon ! !
soupira-t-elle, mais alors, que vais-je devenir si je ne peux être comme une
goutte d’eau de mer ? ».
Tous
cherchaient la meilleure des solutions à lui faire retrouver sa source. Trop d’idées les plus farfelues
les unes que les autres !
Un
saumon, ce poisson qui remonte les rivières, s’était même porté volontaire,
mais l’entreprise était trop risquée… Alors… que faire… ?
-« Haaaouf… écoute, lui dit
l’huître perlière, nous allons consulter la Baleine qui connaît beaucoup de
choses, elle nous indiquera sûrement un moyen pour te sortir de là, viens,
entre à côté de ma perle, je t’y conduis.»
La
petite goutte s’installa confortablement dans l’huître et admira la jolie perle
fine qui se formait. La jeune perle était si lisse que notre goutte, put, comme
dans un miroir constater son pauvre petit visage chiffonné par tant
d’aventures.
Comme
une fusée l’huître se propulsa par à-coups jusqu’à chez dame Baleine qui
dormait d’un œil, surveillant si rien d’anormal ne se passait dans ses eaux.
-« Haaaouf… bonjour madame, dit
l’huître baillante, je vous amène une petite goutte d’eau de source qui
désire retrouver sa montagne, que lui conseillez-vous ?».
Dame
Baleine réfléchit un long… très, très long moment.
-« Elle ne s’est pas endormie au
moins ? », demanda la petite goutte inquiète.
-« Non… non, dit l’huître… je
l’espère... haaaouf! »
Dame
Baleine, enfin, parla.
-« Voici ce que je propose :
petite goutte, tu vas entrer dans mon ventre, puis je monterai à la surface de
l’océan, et, là, avec mon jet, je t’enverrai dans l’espace sur un nuage qui te
transportera chez toi... simple… efficace… cela... te convient-il ? »
-« Oh ! !oui
madame », dit la petite goutte, ravie de cette amusante idée.
Elle
dit adieu à l’huître et s’engouffra prestement dans les entrailles de la
Baleine. Le vaste endroit n’était pas désert : quelques arêtes de poissons
traînaient, des coquillages, des algues se balançaient, un bateau de pêcheurs
trônait sur du sable en attendant de retrouver l’air libre et son port
d’attache.
La
petite goutte accepta la curieuse situation en se calant contre la joue rugueuse
de la Baleine. Sagement, elle attendit.
Elle
rêvait depuis quelques instants… fuffft… elle se sentit soudain aspirée dans
une immense tuyauterie, puis, avec force… expulsée dans les airs tout en haut
d’un long jet d’eau.
-« Et bien, vous pourriez prévenir
dit en suffoquant la petite
goutte. »
-« Ne ronchonne pas comme ça,
maintenant nous allons attendre comme prévu qu’un nuage passe et qu’il veuille
bien te ramener… si c’est sa direction, bien sûr. »
Montant…
descendant… ballottée… secouée en haut du jet, la petite goutte commençait à
trouver le jeu plaisant. Arriva doucement, tout doucement, un bon gros nuage
blanc, qui s’arrêta au-dessus d’elle.
-« Pouvez-vous me prendre, s’il
vous plaît ? »
-« Quoi ! »
-« Je voudrais retrouver ma source,
tout là-haut sur ma montagne, vous savez celle qui ressemble à un gros bonnet
blanc sur des cheveux verts, au dessus d’un lac bleu, là où il y a une grande
cascade. »
-« Je vois, je vois… oui… oui,
pourquoi pas, c’est mon chemin petite, grogna-t-il de sa grosse voix,
allez…monte. »
La
Baleine après quelques essais de montées, de descentes, lança un peu plus
puissamment son jet d’eau dans les airs. La petite goutte prestement sauta sur
le nuage qui, dodelinant, reprit son chemin.
La
petite goutte se penchait pour dire adieu à la Baleine, mais, déjà, celle-ci
avait plongé dans les profondeurs de l’océan.
-« Qui va doucement va sûrement dit
le nuage, ne t’inquiète pas. Écoute…
arrête de gigoter comme ça, tu me chatouilles. Je te préviens, si jamais j’éternue, tu seras précipitée au
sol, car je me transformerai en pluie. »
La
petite goutte rougit, baissa les yeux, ne bougea plus. Le voyage devenait monotone. De temps en temps,
elle se penchait bien pour regarder, mais comme elle avait le vertige, vite
elle revenait à sa place.
Le
vent commença sérieusement à souffler un peu trop fort, déjà, d’autres nuages
les dépassèrent. Certains, pour pouvoir passer les premiers se bousculaient
dangereusement. Des masses noires venaient de tous côtés à vive allure. Soudain
un très vilain nuage arriva face à eux. Le choc était inévitable, chaque nuage
voulait passer. Ils
s’entrechoquaient, chacun voulant avoir la priorité de la route.
L’obstination,
la colère firent que soudain des éclairs jaillirent de leurs rudes frictions.
Un
orage terrible éclata embrasant tout alentour. Le tonnerre gronda, on se serait
cru en enfer. La petite goutte n’arrivait pas à calmer son nuage qui, à
présent, ressemblait à un cheval sauvage, emballé, furieux. La situation
anarchique avait provoqué une averse. La petite goutte fut entraînée dans la
cohue.
L’espoir
de retrouver sa source s’évanouissait encore.
L’ondée
l’amena aux creux du calice d’un magnifique lys blanc qui s’élevait au centre
d’un somptueux parterre de fleurs. Tout heureux de cette présence le lys
murmura :
-« Enfin, me voici rafraîchie, je
commençais à avoir soif, je vais boire… hum... pour une fois une eau bien
claire. » C’était un fin
connaisseur.
-« Pitié, pitié, implora la goutte,
ne me bois pas, beau lys, car si tu m’avales, jamais plus je ne retrouverai ma
montagne. J’ai tellement souffert depuis quelques jours, je n’en puis plus.
S’il te plaît, laisse-moi pour la nuit qui vient, me reposer au creux de ton
calice. »
Le
lys soupira, comme c’était une noble et généreuse fleur, il accepta renonçant à
sa soif. Même… rendez-vous compte… pour calmer les douleurs de la petite
goutte, il accentua son parfum pour l’endormir en douceur.
Il
se referma amoureusement sur elle. Chacun plongèrent dans des rêves pour le
moment impossibles : lui, boire, elle,
retrouver sa source.
Elle
se réveilla toute embaumée au milieu de gouttes de rosée, qui joyeuses dans le
matin frais avaient satisfait la soif du lys. Soumises dans le rôle que leur
avait donné la nature, elles attendaient la venue des papillons. Ils
arrivèrent, multicolores, fiers, voletant avec délicatesse parmi les gouttes de rosée consentantes. Ils
trempaient leurs trompes, s’abreuvant avec ivresse pour toute la journée.
Ensuite ils retournaient virevolter de fleur en fleur, posant par-ci par-là,
leurs taches de couleur, comme le ferait un peintre sur sa toile blanche.
La
chaleur du jour augmentait de seconde en seconde, elle se sentait devenir légère, légère, presque à s’évanouir. Le
lys, par son parfum, l’aida à s’évaporer
dans l’azur du ciel. Un minuscule nuage cotonneux qui passait lui servit à
nouveau de monture. Le chemin vers sa montagne reprenait.
Comme
cela n’allait pas assez vite, trois complaisantes hirondelles aidèrent par des
battements d’ailes à ce que le petit nuage passe à la vitesse supérieure.
Enfin
dans la soirée, elle aperçut avec émotion sa belle montagne.
Il
lui sembla, à mesure qu’elle se rapprochait, qu’elle avait l’air fâché, presque
distante sous son manteau de neige fraîche.
Soudain,
on ne sait pourquoi, dans un hoquet, le petit nuage cotonneux, essoufflé, ne
pût aller plus loin. Harassé, épuisé, il se coucha sur la froide neige blanche
à bonnes distances de la verte forêt où
nichait la source.
« -Brrr…
il est fou, pensa la petite goutte, nous allons geler ici. »
Elle
grelottait, se sentant de plus en plus engourdie. Déjà le petit nuage cotonneux
était de glace, blême, raide.
Le
froid augmentait… c’était ainsi… elle était devenue neige.
« -Malheur
des malheurs, me voici bloquée pour une éternité » eut-elle juste le
temps de penser. Elle ne put même pas pleurer, ses yeux figés grands ouverts. Telle une statue elle ne
bougeait plus.
La
nuit emprisonna la nature dans son obscur manteau.
Mais
voilà, le bon gros Soleil, là haut, ne l’avait pour ainsi dire jamais quitté des yeux. Même quand Il était
de l’autre coté de la terre, Il avait ses informateurs. La Lune, en espionne,
lui avait fourni tous les renseignements de l’aventure. Le bon gros Soleil décida que la leçon était
suffisante et attendit l’aube pour la tirer de cette pénible situation.
Son
premier rayon fut pour elle.
Il
y mit toute son énergie et chauffa, chauffa la petite goutte, jusqu’à faire
fondre la neige à l’endroit où elle se trouvait.
Quelques
morceaux se détachaient, l’eau commença
à suinter. La petite goutte sentait la vie reprendre en elle, son corps se
réchauffait, ses paupières clignotèrent, elle poussa un soupir, s’ébroua
doucement. Elle remercia de toute son âme l’ami Soleil.
Elle
déferla alors rapidement entre deux rochers, rejoignit la verdure, s’enfonça
dans des eaux souterraines puis, ivre de joie, retrouva enfin sa source bien-aimée.
Tout
le monde fut gentil avec elle. Les ondines chantaient, un peu faux, parce que c’était le bon matin. Les oiseux
sifflaient un ton au dessus, les grands arbres, émus bruissaient leurs tendres feuilles comme des
clochettes, la forêt résonnait de mille sons. Cela chantait de partout.
La
petite goutte d’eau de source était heureuse, elle jurait intérieurement d’être
sage, patiente, avant de devenir adulte et donc prête pour un autre voyage.
Dans
la profonde vallée, toutes les familles, étonnées, se demandaient bien pourquoi
la montagne faisait tant de bruits, pourquoi le murmure habituel de la source
s’était transformé en un véritable gargarisme et, pourquoi, là haut, le
puissant Soleil brillait si fort.
Fin
Ah, la voilà enfin cette petite goutte d'eau ! Un conte qui plaira aux petits et grands enfants !!!
RépondreSupprimer(Tu as bien fait de mettre en couleur les dialogues... et d'aérer le texte par des retours)
GROS BECS mon Tonton MItch'